L’interopérabilité doit fonder un système de transfert/partage des informations car elle le rend accessible à tous et permet de fortement accélérer la circulation des données. Le principe est vérifié dans l’e-santé, dans l’univers des collectivités territoriales et dans la filière du BTP. Tel est un des principaux enseignements du webinaire récemment organisé par Cinov Numérique*. Un sujet technologiquement crucial pour les PME/TPE car il impacte directement leur indépendance et leur pérennité.
Dans le secteur de la santé, chaque utilisateur choisit le logiciel qu’il désire.
Selon Thierry Durand, expert au sein du Groupement régional d’appui au développement de la e-santé en Auvergne-Rhône-Alpe (GCS SARA), le numérique a permis un véritable bond en avant en termes de transfert/partage d’information. « Grâce aux nouveaux systèmes d’information basés sur l’interopérabilité des données numériques, le nombre des erreurs a été divisé par 10 en l’espace de quelques années ». Une révolution par rapport à l’époque où les professionnels de santé devaient scanner les dossiers médicaux des patients quand on voulait les partager.
Les solutions mises en place sont fondées sur un principe : chaque utilisateur choisit le logiciel qu’il désire mais il doit s’assurer qu’il fonctionnera avec le standard commun adopté par la profession. La majorité des éditeurs de logiciels métiers ayant accepté cette règle du jeu et l’Etat les encourageant financièrement dans ce domaine, le secteur peut avancer rapidement dans son effort de numérisation.
L’administration commence à installer des standards.
La problématique du partage des données et l’enjeu qu’elle représente fait l’objet d’une véritable prise de conscience au sein de l’administration selon Jean-Marie Bourgogne (OpenData France), expert open data auprès des collectivités locales. Des standards et des normes se mettent progressivement en place. On en dénombre actuellement une quarantaine concernant des bases de données sectorielles dans des domaines comme les transports en commun, la mobilité (pistes cyclables, parking, bornes de recharge), la santé, l’environnement (performances du bâti), la sécurité civile, le tourisme, etc. Le partage des données va se poursuivre car les lois CADA et République numérique imposent l’obligation de publier les données afin de les rendre « transparentes » dans de nombreux domaines de la sphère administrative.
Le mouvement doit d’ailleurs s’accélérer car les usagers ont pour l’instant peu de possibilités de réutilisation des données publiques.
Le BTP doit élaborer un dictionnaire permettant de parler un même langage.
S’agissant de la filière du BTP, Didier Balaguer (PDG de datBIM et Administrateur de Cinov Numérique) prône l’interopérabilité totale des données : « le BIM suppose la mise en œuvre de données de qualité qui circulent très rapidement entre acteurs et l’instauration d’un langage commun intégrant un format de publication ouvert ». Pour la filière BTP, la démarche passe par l’élaboration d’un dictionnaire définissant un vocabulaire commun et d’une « grammaire » commune. Tout cela est possible puisqu’une norme expérimentale française publiée en 2014 a permis l’élaboration d’une norme internationale (NF EN ISO 23386) en 2021 et que l’instauration d’un langage commun a fait l’objet d’une première expérimentation en 2018 dans le cadre du PTNB (Plan de Transition Numérique du Bâtiment).
Le projet POBIM (Propriétés des objets pour le BIM) impliquant 300 experts (Maitres d’ouvrage, Maitres d’œuvre, Entreprises, Fabricants) autour de 150 DTU (document technique unifié applicable aux marchés de travaux de bâtiment) a permis de formaliser les règles de l’art lorsque le maitre d’ouvrage spécifie un ouvrage dans le cadre d’un dossier de consultation des entreprises. Et cela également pour 7 thématiques réglementaires : accessibilité, acoustique, amiante, économique, environnementale, sismique et thermique. Ce projet a permis d’élaborer un dictionnaire de 3200 propriétés décrivant 300 modèles de description d’objets (porte, fenêtre, mur, toiture, équipements …).
Pour rendre totalement opérants ces travaux (représentant un budget d’environ 2 millions d’euros), il faut désormais adopter une grammaire commune qui exploitera le vocabulaire existant et donnera accès à tous aux contenus structurés et cela à partir de n’importe quelle application. Cette approche peut s’appuyer sur le format ouvert et documenté opendthX (porté par l’association ALLIANCE DU BATIMENT).
La possibilité d’utiliser des données « ouvertes » et interopérables représente un enjeu capital pour les TPME (moins de 10 salariés) qui représentent plus de 95% des acteurs de la filière constructive car ces dernières n’ont pas les ressources suffisantes pour constituer les jeux de données utiles à l’exercice de leur métier et les faire utiliser par des tiers. Or, sans données interopérables, elles dépendent totalement des langages propriétaires mis en place par les grands éditeurs ou des grandes plateformes internationales qui imposent un modèle « captif ». Plus elles produisent des contenus en format natif (dans un langage seulement compris par une application spécifique), plus elles perdent la maitrise des données, plus elles deviennent dépendantes de ce format avec des conséquences qui peuvent s’avérer très dommageables en termes de prix de licence (augmentation non contrôlable) voire une perte sèche de capital immatériel en cas de disparition de l’éditeur propriétaire du langage.
Tout cela est possible d’un point de vue juridique puisqu’il suffit d’appliquer le droit à l’interopérabilité qui est déjà existant (directive européenne transposée dans la droit Français par l’article L122-6-1 du code de la propriété intellectuelle). Premier bénéficiaire potentiel de cette approche « ouverte » car principal maitre d’ouvrage national, l’Etat doit jouer un rôle moteur dans sa promotion tout comme les organisations professionnelles.
*Une cinquantaine de personnes ont participé à ce webinaire animé par Christophe Chambet-Falquet administrateur de Cinov Numérique.
Des milliards d’économies possibles !
Au moins 20 milliards d’euros par an ! Tel est le coût estimé des défauts entrainés par l’interopérabilité dans la filière du BTP selon deux études menées par la FFB et le PTNB. Sachant que d’autres évaluations estiment ce chiffre 3 fois plus important soit environ 10% du chiffre d’affaires du secteur. Les informations relatives aux composants de l’ouvrage utiles à la conception, la réalisation et l’exploitation n’étant pas, pour l’instant, produites dans des formats libres et normalisées, la recherche est fastidieuse. On estime qu’une donnée est ressaisie de 10 à 15 fois dans les différentes applications utilisées par les différents acteurs de la chaîne. Outre le temps perdu, ces ressaisies génèrent des dysfonctionnements sur le chantier et des pertes d’exploitation représentant près de 6 milliards à la charge des entreprises.
Quant à la mauvaise connaissance de leur patrimoine par les maîtres d’ouvrage elle entraîne des erreurs d’analyse, de mauvaises décisions, des surcoûts d’exploitation estimés à environ 8 milliards d’euros. L’usage d’un format d’échange ouvert de données structurées (et non pas de formats géométriques natifs) est une condition à l’interopérabilité. Il évite la démultiplication des échanges de maquettes (réduisant ainsi les émissions de GES préconisé par la loi REN (Responsabilité environnementale du numérique) et permet d’optimiser le « poids numériques » des « objets » échangés.
Lien vers le replay du webinaire CINOV Numérique du 22/09/2022